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Rasé de près

 

« La figure du skinhead est solidement ancrée dans l’imaginaire collectif en tant que figure négative. Le skinhead est devenu, selon l’expression de Stanley Cohen, ce démon familier qu’une large production d’articles et de récits plus ou moins fictionnels ont largement contribué à populariser. Pour autant, aussi communément admise soitelle, cette image relève plus du stéréotype commode, du cliché journalistique ayant fait flores.

Ma thèse consacrée à la construction, l’évolution et la diffusion du mouvement skinhead m’a amené à m’interroger sur les notions de perception et de représentation au travers des rapports entre subcultures et médias. J’ai ainsi cherché à montrer comment journaux et télévision, en fonctionnant sous le régime de la simplification et de l’amplification, avaient fixé le cadre de perception de cette subculture et participer directement à l’émergence, voire à la co-production, du phénomène naziskin.

Ce questionnement sur l’image, sur la représentation m’a amené à engager un dialogue fructueux ave Alexandra Czmil qui travaillait également sur les subcultures en y apportant un regard pertinent. Cet échange s’est concrétisé par une exposition sur la subculture skinhead, croisant l’approche sociologique et photographique, pour produire, à partir de nos travaux, une interpellation commune quant à cette notion de représentation. Alexandra, par son travail, complète parfaitement l’analyse sémiologique des subcultures initiée par Dick Hebdige. Elle porte l’attention sur des éléments signifiants de la panoplie subculturelle incarnant un style de vie : détails physiques, vêtements, objets, constituant les formes plastiques de l’ensemble stylistique composant les formes fondamentales du style selon Phil Cohen. Qui plus est, en ouvrant le cadre, en saisissant chez eux les acteurs et représentants de ces subcultures, et en particulier ceux et celles appartenant à la mouvance skinhead, elle donne chair et consistance à des personnages autrement réduits à des figures caricaturales et désincarnées.

Ainsi se trouvent illustrées les notions d’appropriationnisme en tant qu’incorporation d’un style étranger,
mais aussi en tant que ressource et héritage culturel issus d’une mémoire reçue et négociée et s’incarnant en
ces formes d’expressions actualisées. Ce faisant, Alexandra montre la dimension réflexive de ces subcultures
devenues des affirmations de mode de vie située et stratégique. »

Gildas Lescop, sociologue
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Barracudas



«Exécution du barracuda : de la position allongée sur le dos, élever les jambes à la verticale
tandis que le corps est immergé pour prendre une position carpée arrière, le niveau de l’eau
n’étant pas plus bas que les chevilles. Exécuter une poussée jusqu’à la position verticale.
Exécuter une descente verticale au même rythme que la poussée. »

L’artiste a réalisé une série de portraits photographiques de huit nageuses de natation synchronisée.
Elles posent devant l’appareil photo : leur regard tourné vers l’objectif n’exprime aucune émotion.
Elles viennent de sortir de la piscine, juste après leur entrainement. Elles portent encore leur maillot de bain, bonnet et lunettes.
On voit la trace des pince-nez. L’artiste prend aussi la photo de leur dos pour compléter les silhouettes qui sont ensuite découpée et
enfermée entre deux dalles du verre. Le bloc de béton renforce la structure de chaque élément de l’installation.
Leur disposition dans l’espace fait référence à une figure éponyme de natation. Cette épreuve demande de la précision, 
de la technique, un effort physique et bien évidemment la synchronisation de tous les membres de l’équipe.
Mais on ne voit pas cette splendeur et la performance du spectacle aquatique – les filles dans les images ne sourient pas,
elles ne sont pas gracieuses.
Leurs corps sont décontractés et fatigués.
À la place de la féerie des couleurs, des paillettes et des sourires de circonstances et malgré leurs efforts physiques,
ici, nous ne voyons que des filles ordinaires au corps encore plus lourds car les photos sont enfermées dans ces structures de verre et
de béton.

L’installation Barracudas est fondée sur un geste de démasquassions. Les portraits photographiques
de nageuses dépassent un accrochage classique et changent leur statut. Ce ne sont plus de simples images mais des sculptures.
L’artiste, une ancienne nageuse de natation synchronisée, joue avec les codes de ce sport.
Cette décision formelle sert à montrer le côté humain du combat physique et du travail difficile du corps et de l’esprit.

Anna Tomczak, commissaire d’exposition